Aluminium vs Cellophane
Couvrir un plat pour le conserver. Dans nos placards, la feuille d’aluminium ou le/la cellophane sont souvent les deux options les plus évidentes. Mais quelle solution est la plus écologique ? Afin de savoir de quoi on parle, commençons par nous pencher sur ce qu’est le, ou la, cellophane, et d’où vient l’aluminium.
Date de publication : 30/12/24
Le/la Cellophane, c’est quoi ?
C’est un ingénieur Suisse, Jacques Edwin Brandenger, qui déposa en 1909 le brevet de fabrication de la Cellophane dont le nom sera déposé en France en 1912. Ce travail faisait suite aux travaux des Britanniques Croos, Bevan et Beadle qui eux-mêmes déposèrent des brevets de pellicules transparentes à base de viscose qui seront utilisées dans le cinéma (1898). La viscose est une pâte de bois, riche en cellulose, qui est dissoute par ajout de soude caustique (NaOH) et de carbure de sulfure (CS2) afin de créer la cellophane. Cependant, le carbure de sulfure s’avère toxique pour les ouvriers en production, et sa liste d’effets nocifs longue comme le bras pousse la société DuPont Nemours à se tourner vers de nouveaux procédés dans les années 1950. Ces procédés sont aussi moins chers, mais à base d’hydrocarbures : nitrocellulose, chlorure de polyvinylidène (PVDC), acétochlorure de vinyle1. Les films alimentaires peuvent être composés de plusieurs couches, mais de nos jours, c’est principalement le polyéthylène et le PVC (polyvinyle Chlorure) qui sont utilisés (mails aux services d’Intermarché, Melitta2). La marque Cellophane, dont le nom correspond à la fusion entre les mots cellulose et diaphane (qui laisse passer la lumière), est passée dans le langage courant. Mais comme nous venons de le voir, les films alimentaires sont maintenant majoritairement à base de pétrole et peu souvent acceptés au recyclage. Cela va entrer en compte dans notre question de savoir quel produit est le plus écologique.
La cellophane est une marque déposée, le film alimentaire est le terme consacré.
Le principe de base des films alimentaires est qu’ils sont composés de grandes chaînes de molécules. Pour cela, la brique de base, par exemple l’éthylène, est chimiquement attaquée pour former un radical, c’est-à-dire une molécule d’éthylène à qui on laisse un électron tout seul. Les radicaux sont très réactifs, car instables. Ils vont ainsi réagir avec leurs voisins en se fusionnant à eux. Le résultat de cette fusion est aussi un radical, qui aussi fusionnera avec une autre brique : on a donc une réaction en chaîne. D’une petite brique de base (éthylène) on obtient une longue chaîne qui peut atteindre 100 000 fois la brique de base !3 Le polyéthylène des films alimentaires est le LLDPE (Linear Low Density Poly Ethylene), c’est-à-dire que les chaînes du polymère ne sont pas ou très peu ramifiées. Elles sont toutes en longueur, comme des spaghettis.
Dans le cas du polyéthylène, on part de l’éthylène qui s’accroche à un confrère et ainsi de suite des milliers de fois.
L’Aluminium
Passons à la feuille d’aluminium. Pas de secret, la base de la feuille d’alu est bien l’aluminium (symbole chimique Al). Fun fact, c’est le Suisse Robert Victor Necker qui fabriqua les premières feuilles d’aluminium pour le chocolat Toblerone. C’est pas marrant ça ? Les feuilles sont laminées, c’est-à-dire aplaties, grâce à des rouleaux4.
La feuille d’aluminium peut être détournée en bloc-ondes, une blague qui se retrouve même en vente au musée des OVNI à Roswell (Etats-Unis).
À l’origine, l’aluminium est extrait d’un minéral : la bauxite. Le nom de « bauxite » est originaire de Baux-de-Provence et c’est le français Pierre Berthier qui en fit la découverte. La bauxite est composée de 30 à 70 % d’alumine Al₂O₃. Comme sa formule chimique l’indique, l’alumine n’est pas de l’aluminium pur, mais de l’aluminium (Al) associé à de l’oxygène (O). L’aluminium constitue près de 10% de la croute terrestre, cette ressource n’est donc pas près de tarir5. Malgré cette abondance, son extraction et son utilisation sont relativement récentes. En effet, c’est seulement en 1807 que le scientifique britannique Humphry Davy déduit que l’alun (un cristal naturel) pourrait contenir un métal. L’alun, du latin alumen, est utilisé comme base lavante et donna le nom d’aluminium à ce métal. Précisons que seulement 5% de l’aluminium extrait sur Terre est utilisé à des fins d’emballage.
Afin de comparer l’impact écologique de ces deux méthodes d’emballage, penchons-nous sur leurs modes de fabrication et d’extraction.
Fabrication de l’Aluminium
De l’extraction de l’alumine dans la bauxite à la purification de l’aluminium.
L’alumine, ou oxyde d’aluminium Al₂O₃, est d’abord dissoute dans une solution de soude à 200°C. Cela permet dans un premier temps de séparer l’aluminium des oxydes de fer aussi présents dans la bauxite. Ces oxydes de fer sont les fameuses boues rouges qui défraient la chronique et dont on produit près de 5 milliards de tonnes par an dans le monde6. Ces boues sont très polluantes car riches en plomb, cadmium et mercure, mais aussi en résidus du procédé d’extraction comme les furanes ou les dioxines. Elles sont également très alcalines à cause de la soude caustique7. Une fois extrait, l’aluminium est purifié en le cristallisant puis en le calcinant à 1100°C8. Ces opérations sont donc très énergivores. Fort heureusement, l’aluminium peut se recycler : entre 50% des canettes en Europe et jusqu’à 90% au Brésil et en Norvège sont recyclées. Il faut seulement 6 à 8 semaines pour qu’une canette soit réincarnée… en canette de nouveau en vente. Ainsi, le papier aluminium est recyclable s’il n’est pas trop souillé9.
Nodules de fer d’une ancienne mine de Bauxite à Otranto, dans les Pouilles en Italie.
Fabrication des films alimentaires
La base des deux plastiques que sont le polyéthylène et le PVC est l’éthylène. L’éthylène est un gaz qui est produit à hauteur de 130 millions de tonnes par an, et sa production est assurée à partir de la paraffine, un résidu du pétrole ou du gaz naturel (éthane). La production de l’éthylène est polluante : entre 840 et 1135 kg de CO2 par tonne d’éthylène. L’extraction du gaz et du pétrole est polluante de par les émissions directes, mais aussi de par l’énergie nécessaire aux processus de cracking et de purification. Par la suite, il faut encore faire la réaction de polymérisation, c’est-à-dire, la fabrication du plastique à proprement parlé à partir de l’éthylène ou du chlorure de vinyle… Dans le cas du PVC par exemple, afin de déclencher la réaction chimique, on fait appel à un catalyseur. Le catalyseur est une sorte de médiateur qui permet la réaction chimique. Et il se trouve que le PVC a besoin d’un catalyseur à base de mercure, ce qui en fait un consommateur notable de mercure : 60% de la demande mondiale10–12 ! Le mercure est un métal lourd particulièrement problématique pour l’environnement (lien), et la fabrication de PVC aboutit inexorablement à des émissions de ce métal. La fabrication de PVC est aussi émettrice de chlore, d’arsenic et de plomb13,14.
Impact de production des films plastiques
Il est à noter que l’éthylène, la molécule de base du polyéthylène, peut aussi être issu de l’éthanol (issu du maïs ou du blé par exemple). Les émissions dues aux plastiques issues de plantes sont inférieures à celles dues aux plastiques issus du pétrole et, comme nous le verrons plus tard, un peu moins polluantes. Mais, même si on a du PVC ou du polyéthylène biosourcés, la molécule finale est la même. Et ceci est tout aussi problématique, notamment lors de la combustion du PVC, émetteur important de composés chlorés, ou encore parce que le recyclage n’est pas possible pour ces films alimentaires
Dans le cas de polyéthylène biosourcé, le sucre de la canne est transformé en éthanol, qui est lui-même transformé en éthylène, brique de base du polyéthylène. Seulement 1,5 % du polythène est d’origine végétale15.
Production de polyéthylène, un des plastiques des films alimentaires. Le PVC est un autre plastique pouvant être aussi employé. Il est à noter que le terme « cellophane » est une marque, et que l’origine végétale de la cellophane n’est plus courante.
Bien qu’il soit difficile de hiérarchiser les produits en termes d’impact tant leurs origines et leurs cycles de vie sont différents, penchons-nous sur les émissions de CO2 et la consommation d’énergie.
Energie nécessaire
Avant de parler de la consommation d’énergie, penchons-nous sur ce qu’est l’énergie. L’énergie peut se définir comme une mesure de production de chaleur, de mouvement ou plus généralement une mesure qui permet de quantifier un changement. L’énergie se mesure en Joules : un Joule, c’est l’énergie d’une boule de papier qui tombe du 6ème étage d’un immeuble. Autre exemple, il faut 4,19 joules pour élever la température de 1 gramme d’eau de 1 degré, ce qui correspond à 1 calorie. Une heure de TV consomme environ 350 000 Joules d’électricité, et pour charger votre téléphone pendant une heure ça sera 27 000 J, soit respectivement 350 et 27 kJ (kilo joules). Un four électrique qui tourne pendant 1 heure, c’est bien plus : 7 200 000 Joules ! Alors ça fait beaucoup de 0 tout ça, donc au lieu de les écrire on parle de Mégajoules. Ainsi, 1 MJ = 1 000 000 J, et on peut dire que le four dépense 7,2 MJ.
L’aluminium requiert de 47 à 54 MJ par kg d’aluminium produit de son extraction à sa transformation16,17. Ceci est presque vingt fois plus que pour le PVC, à savoir de 2 à 4 MJ par kg de PVC produit. Cette consommation énergétique est principalement associée à la production des matières premières ainsi qu’au processus de polymérisation18. Le polyéthylène quant à lui requiert de 1,5 à 3 MJ par kg de polyéthylène produit19,20. Cela fait du polyéthylène l’un des plastiques les moins énergivores, moins énergivore que le PVC et surtout que l’aluminium21. Il est à noter que l’éthylène dérivé des plantes pourrait être légèrement moins énergivore que la production d’aluminium (46 MJ/kg) 14,21,22.
Impact carbone
L’énergie étant souvent carbonée, la hiérarchisation en termes d’émissions de CO2 se traduit mécaniquement par le même tiercé gagnant. La production de l’aluminium est très émettrice de CO2 : 15 à 22 kg de CO2 par kg d’aluminium produit. Ce n’est pas tant le broyage et la dissolution qui sont énergivores, mais l’électrolyse qui permet de purifier l’aluminium (c’est le processus Hall-Héroult)23. Pour les films alimentaires, la production de PVC et de polyéthylène est presque dix fois moins émettrice de gaz à effet de serre. La production de PVC est responsable de 1,5 à 3,0 kg de CO2 par kg de PVC produit18 contre 1,5 à 2,5 kg de CO2 par kg de polyéthylène produit21. Il est à noter que les plastiques venant du maïs ou du sucre de canne sont un peu moins émetteurs de gaz à effet de serre 14,19,24... alors que l’énergie requise est plus importante.
La fin de vie
Autant l’aluminium que les plastiques posent des problèmes d’émission de polluants lors de leur fabrication, et il est difficile de comparer et de hiérarchiser des polluants aussi différents que le mercure ou encore le chlore par exemple. Mais notons qu’une fois créés et utilisés, les objets ont une fin de vie. L’aluminium est recyclable. Dans ce cas, on économise l’énergie nécessaire à son extraction. Ainsi, la consommation d’énergie pour recycler de l’aluminium n’est que le dixième que celle de son extraction, réduisant de 96% les émissions de CO225,26 ! Bien entendu, de l’aluminium recyclé, c’est moins d’énergie dépensée mais aussi moins de pollution aux métaux issus de l’extraction. Cependant, les feuilles d’aluminium étant souvent sales, leur recyclage effectif reste très hypothétique.
Les plastiques des films alimentaires, eux, ne sont pas recyclables, ce qui amène la question de la pollution plastique, mais certains peuvent être biodégradables et/ou d’origine végétale. Dans ce cas, on peut espérer une réduction de l’impact carbone de 80%27. Il est à noter qu’un plastique d’origine végétale n’est pas forcément compostable et inversement.
Bilan final pour une feuille
Ajoutons qu’une feuille d’aluminium est environ trois fois plus lourde qu’une feuille de cellophane : 3,9g et 1,3g respectivement. Comme nos bilans se faisaient jusqu’alors sur 1 kg de produit, il faut multiplier par trois l’impact de l’aluminium pour comparer l’impact d’une feuille de l’un et de l’autre. Les scores sont donc les suivants : la feuille d’aluminium est environ 50 fois plus énergivore et 20 fois plus émettrice de CO2 que son homologue en plastique. Ceci si on considère les transports comme équivalents, juste en parlant des matières des produits. Si on prend en compte le recyclage de l’aluminium, qui réduit de 96% les émissions, on arrive à un bilan final du même ordre de grandeur que le film alimentaire plastique. Notez que l’insuffisance des données sur la totalité du cycle de vie incite cependant à rester prudents28.
Conclusion
En résumé, bien que l’aluminium soit le plus énergivore et le plus émetteur de CO2 des trois matériaux, il bénéficie de sa capacité à être recyclé indéfiniment sans perte de qualité, ce qui peut atténuer son impact environnemental lorsque les taux de recyclage sont élevés29. Au point de rattraper, en termes d’émission de CO2, les films plastiques. Le PVC pose des problèmes significatifs en raison de ses émissions de polluants tels que le chlore et le mercure, et de ses sous-produits nocifs, en particulier lors de son incinération après utilisation. Le polyéthylène, en revanche, présente un impact environnemental relativement plus faible en termes d’émissions de CO2 et de consommation énergétique que le PVC, surtout lorsqu’il peut provenir de sources végétales.
Suivant les besoins, la feuille d’aluminium devrait être privilégiée si elle peut être recyclée seulement. C’est le cas s’il n’y a pas de collecte ou si la feuille est trop souillée. Le film alimentaire est préférable en polyéthylène, et si possible d’origine végétale, voire compostable et d’origine végétale.
De manière générale, le plus écologique reste de consommer le moins possible les feuilles d’aluminium comme de cellophane. Mais attention, utiliser un couvercle, une assiette ou une boite requiert de laver ces ustensiles. L’énergie pour chauffer l’eau, si on l’estime à 250 ml, serait d’environ 40KJ[1]. En France, avec le nucléaire, cela équivaut à 0,5 g de CO2. Donc un ordre de grandeur en-dessous de la feuille en plastique, mais avec un ordre de grandeur de plus en terme d’énergie. Même en comptant l’impact du savon, qui est très compliqué à estimer et qui souvent est signalé comme bien moins important que de l’eau à chauffer (lien), la solution du couvercle ou de la boite alimentaire reste la meilleure solution.
[1] Q=m⋅c⋅ΔT, avec ΔT = 40° et c = 4184 J/(kg·°C) = 40 KJ environ (source RTE) pour les émission de CO2 par KWh, env. 50g/kWh , soit 50g/3600 KJ, soit 0,5g CO2
Phosphoré par : Gontier Adrien, Jaeger Catherine
Mots clefs : Aluminium, Film alimentaire, Compostage, Biodégradation, Energie