Alternatives et écologie 2/2. Savons-nous tout sur les savons ?
Détergent, agents tensioactif ou savon de Marseille. Comment sont nés les savons, comment ont-ils évolué ? Comment fonctionnent-ils et quelles sont les solutions écologiques pour laver ? Les recettes alternatives sont-elles efficaces et sont-elles réellement plus écologiques ? Deuxième partie sur les alternatives aux savons et détergents.
Date de publication : 13/04/20
Vers d’autres savons
Formulations
Environ 60% des tensioactifs sont utilisés comme nettoyants (détergents, savons, lessives) alors que les 40% restants sont utilisés dans l’industrie ou les pesticides par exemple. Utilisés comme nettoyants, les tensioactifs sont à 45% utilisés dans les produits pour le linge (lessives et détachants), 39% pour les détergents (sol etc.), 11% pour la vaisselle, 5% pour les savons1. Voilà pourquoi nous allons nous intéresser plus aux produits pour laver le linge dans la suite de cet article.
Utilisation des agents tensioactifs : beaucoup sont utilisés dans les pesticides et par l’industrie
Les méthodes alternatives
Depuis une décennie, les tensioactifs d’origines renouvelable (à base d’huiles végétale ou même d’algues) ont à nouveau supplanté les produits d’origine pétrochimique1.
Les trois principaux fabricants de lessives en France font régulièrement des mélanges de tensioactifs1-3 dont une part plus ou moins importante est d’origine végétale. Procter et Gamble utilise 1% de l’huile de palme mondiale pour l’introduire dans la formulation de certaines lessives comme pour Ariel ou Tide par exemple. Les produits labélisés « écologiques » ont quant à eux l’interdiction d’utiliser des agents tensioactifs d’origine pétrolière. L’origine végétale ou minérale est obligatoire, car considérés comme renouvelables. Ces produits peuvent contenir des tensioactifs dérivés du sucre ou d’amidon pour le côté hydrophile et d’huile de palmiste pour le côté lipophile3. Quand on évoque alternative on pense aussi savon de Marseille, noix de lavage, ou encore mélanges de vinaigre et de bicarbonate par exemple. Et ceci, sans parler des boules miracles en céramique [ionique bio quantiques ?].
Les lessives, mais aussi les savons et gels douche, ne contiennent pas que des tensioactifs (la liste de ces autres composés est en fin d’article). Cependant, nous n’allons pas nous concentrer sur ces composés. Car ils sont communs au moins en partie avec les produits classiques et écologiques. Les agents tensioactifs, sont eux en plus grande quantité dans les produits.
Deux questions principales nous paraissent essentielles : les tensioactifs d’origines végétales et les alternatives sont-ils efficaces et sont-ils réellement écologique ?
Efficacité des alternatives
Les détergents écologiques (issus des plantes) sont tout aussi efficaces que les détergents pétrochimiques (ref). Mais il existe des méthodes alternatives qui peuvent être proposées. On peut nommer les boules de lavage (en plastique et en caoutchouc), les noix de lavage, ou des lessives au saponaire par exemple. Ces méthodes alternatives aux lessives ont été comparées à un lavage à l’eau ou à un lavage avec une lessive classique4,5. Différentes températures ont été testées avec toutes sortes de taches (café, sang, huile de moteur, sébum etc.). Au final, il s’avère que les méthodes alternatives sont tout aussi efficaces qu’un lavage à l’eau ! Le lavage à la lessive, est le seul réellement efficace. Mieux, suspendre le linge pour le rafraichir le rend tout aussi agréable sans lavage à l’eau qu’avec. Autrement-dit, un linge non taché que vous souhaitez rafraichir a juste besoin de suffisamment de temps suspendu à l’air et au soleil. Efficacité nulle pour les boules et noix de lavage…
D’autres méthodes alternatives de lavage existent pour le ménage. On peut mentionner l’utilisation de citron, de bicarbonate de soude et de vinaigre pour désinfecter, nettoyer, assouplir ou détartrer6. Beaucoup de recettes, beaucoup de fonctions.
- L’utilisation du citron se justifie par la présence d’acide citrique, qui une fois sous forme basique (citrate) emprisonne les ions calcium et magnésium. Il est l’alternative « écologique » à l’EDTA. Le jus de citron est en général utilisé avec un produit basique qui permet de permuter l’acide citrique sous sa forme basique « citrate ». Pour cela on mélange le jus de citron avec du bicarbonate par exemple. Le citrate et le bicarbonate (NaHCO3) ont aussi comme effet d’augmenter l’efficacité des savons qu’on pourrait ajouter en abaissant encore la tension superficielle1. Ajouter du bicarbonate de sodium à du savon de Marseille pour en faire une lessive n’est donc pas dénué de sens, tout comme le fait d’ajouter du citrate.
- Le bicarbonate (NaHCO3), la lessive de soude (Na2CO3), la cendre de bois (NaOH,KOH) sont des produits basiques qui, avec une efficacité différente, ont une action lavante. En effet, ces produits réagissent avec les graisses, les détruisant et créant de surcroît des savons, qui auront à leur tour une action lavante.
- Car il est acide, le vinaigre a une action désinfectante, mais limitée7. Cette acidité a une action certaine sur le calcaire déjà formé.
CaCO3 + MgCO3 + 4 CH3COOH à 2 CO2 + 2H2O + 4 CH3COO- + Ca2+ + Mg2+
Pourquoi le mélange bicarbonate/vinaigre blanc est de la fumisterie ?
Prenons l’histoire du début ; de nombreuses « recettes » proposent un mélange bicarbonate de soude et vinaigre comme solution de nettoyage alternative. Le mélange mousse et bulle, c’est presque magique. Ceci est tout simplement dû à la réaction chimique entre les deux produits.
NaHCO3 + CH3COOH à H2O + CO2 + CH3COO-Na+
A gauche les réactifs mis en œuvre, à droite les produits de la réaction
Les bulles sont issues de la production de gaz (CO2) lors de la réaction. Outre ce gaz, la réaction produit de l’éthanoate de sodium, CH3COO-Na+. Cet élément ressemble à un mini-savon, mais son squelette est plus petit : 2 carbones. Cependant, l’éthanoate de sodium n’a pas du tout la fonction savon1. Son squelette est trop petit pour se fixer dans la graisse et avoir une action lavante. Pour faire un savon efficace, il faut un minimum de 8 carbones1. Ces derniers assurent un juste équilibre entre être assez soluble dans la graisse et dans l’eau. Mais l’éthanoate, lui, est trop soluble dans l’eau. Les surfactants de ce type avec 12-14 carbones sont les plus efficaces, même si jusqu’à 18 ils sont intéressants. Voilà pourquoi les savons sont généralement fabriqués avec 20% d’huile de coco ou de palmiste (deux huiles donnant des savons avec des squelettes de 12 et 14 carbones) et de l’huile de palme, d’olive ou de la graisse de bœuf (16 et 18 carbones)1. Dans les cas du savon d’Alep, c’est l’huile de laurier qui est utilisée comme source d’acides gras à chaines courtes.
Penchons-nous sur une recette réelle : 2 cuillères à soupe de bicarbonate et 1 cuillère à soupe de vinaigre8. L’impression que cette solution marche peut provenir du fait qu’elle est légèrement basique. Cette eau basique va pouvoir réagir, de manière limitée, mais réelle, sur les graisses. Et pour savoir si ce mélange est réellement efficace, nous l’avons testé et vous pourrez le voir en vidéo. Nous avons, de manière très succincte et certainement améliorable, essayé de mettre au point une méthode scientifique pour évaluer l’efficacité du mélange.
Un savon synthétique (à base de pétrole) est-il plus polluant qu’un savon à base d’huile végétale ?
Nous souhaitons aborder deux points de l’impact environnemental des détergents. Le premier est celui de la biodégradabilité des détergents (sa capacité à se dégrader), le second est celui de leur impact lors de leur fabrication (dépense énergétique, émissions de polluants etc.).
Les produits sont innombrables, les paramètres analysés varient selon les études ou les pays… Bref, pour répondre à nos questions, on a fait avec ce que l’on avait. Pour ne pas nous éparpiller, nous allons juste comparer les lessives écologiques (et les savons de types savon Marseille) avec des lessives pétrochimiques.
Biodégradabilité
Ce n’est pas parce qu’un produit est d’origine pétrochimique qu’il est obligatoirement moins biodégradable qu’un produit « naturel ». Déjà car des savons synthétiques peuvent être identiques à des savons d’origine végétale. Ensuite, si l’on prend l’exemple de la lignine, composé naturel du bois, elle est très difficilement biodégradable.
Le lauryl sulfate sodium, un surfactant sulfaté qui peut être originaire du pétrole ou de l’huile de coco, très commun, a une demie vie comprise entre 7 et 33 jours dans les boues9 avant de se dégrader à 97-99 %10. Une biodégradation tout à fait similaire aux savons « ancestraux » : le sodium palmitate (huile de palme) qui après 4 semaines se dégrade à 94 %, le sodium laurate (huile de coco) se dégrade de 85 % à 100 % , le sodium palm kernel se dégrade de 85 à 90 % (huile de palmiste), le sodium oleate (huile d’olive) se dégrade de 75 % à 100 %, le tallowate (graisse animale) se dégrade de 75 % à 100 %11. En fait, la bonne biodégradabilité des surfactants est une condition sinequanone de leur mise sur le marché, quel que soit l’origine de ces derniers. Ainsi, leur capacité de biodégradation est toujours dans les mêmes ordres de grandeur quelque soient leurs origines12. Parfois les surfactants d’origine synthétiques peuvent même présenter une meilleure biodégradabilité. En effet le squelette de certains surfactants synthétiques facilitent la dégradation1,12,13(les ramifications). Les surfactants synthétiques sont tellement nombreux qu’on peut aussi toujours trouver des exceptions.
Egalité, voire très léger avantage pour les tensioactifs synthétiques en terme de biodégradation.
Impact environnemental global
Energie
L’impact environnemental du lavage, au sens des émissions de polluants et de la consommation d’énergie, comprend la lessive, mais aussi l’utilisation d’énergie pour faire fonctionner la machine (et la fabriquer). L’utilisation d’énergie pour fabriquer la machine et la faire fonctionner serait la part la plus importante de l’impact d’un lavage14. Il s’avère que la lessive en tant que telle est en réalité une partie négligeable de la pollution globale d’un lavage4. De manière générale, la fabrication des détergents représente 15% de la consommation d’énergie de l’ensemble du cycle de vie, aux quel il faut rajouter 5 % pour l’emballage et le transport. Au final, 80% de la consommation globale d’énergie consiste à faire chauffer l’eau et à faire fonctionner la machine à laver (étude en Suède et aux Pays-Bas)15, d’autres auteurs sont plus proches de 60 %16. Bien entendu c’est un ordre de grandeur (il dépend de la machine et du type de lessive utilisé). Cette première information permet déjà de conclure que la lessive en tant que telle, et dans une certaine mesure les savons et produits ménagers, sont des achats réguliers mais d’un impact énergétique limité15. La réduction des déchets réduit d’environ 3 à 12% l’impact écologique des lessives, contre 17 à 46 % lors d’un lavage à froid (20°C)16. La proximité du fabricant est aussi importante dans l’impact de pollution de la lessive17. Au final, les produits d’entretiens et d’hygiène ne seraient responsable que de 1,3% de notre impact écologique16.
La majorité de l’énergie dépensée dans un lavage vient du chauffage de l’eau et du fonctionnement de la machine. Laver à froid réduit de 17 à 47% les dépenses énergétiques d’un lavage
Emissions carbonées
En 1999, une étude indiquait que l’utilisation de lessives écologiques permettait de réduire les émission de CO218. En effet, les matières premières de lessives écologiques doivent être à base de plantes (des huiles végétales dans la plupart des cas). Ces plantes, dans un schéma simple, réabsorbent le CO2 émis après leur production. Sauf que ce n’est pas aussi simple. Déjà car la production de végétaux demande aussi un apport énergétique (tracteur, désherbage) et les sous-produits de ces cultures peuvent émettre beaucoup de pollution19. Le choix de la matière première d’origine végétale et son mode de production pour fabriquer des tensioactifs est donc fondamental. Les industriels ont privilégié les huiles de palme et palmiste comme matières d’origine végétale. Le problème est que le palmier à huile est une cause majeure de la déforestation là où elle est majoritairement produite : en Indonésie et en Malaisie20,21,22,23,24.
Le problème de la déforestation est double d’un point de vue climatique. Premièrement car elle est souvent provoquée par la technique du brulis. Des feux font s’échapper la totalité du carbone emprisonné par les plantes25. Deuxièmement, les forêts détruites pour les plantations de palmier à huile sont souvent des forêt tourbeuses26. Les forêts tourbeuses ont accumulé du carbone dans le sol sur plusieurs mètres parfois ! Une fois coupés, asséchés et remplacés par des palmiers, les sols de forêts émettent des quantités monumentales de gaz à effet de serre. Tant est si bien que l’huile de palme peut emmètre de 86 à 423 fois plus de CO2 que les combustibles fossiles27. Il faut alors plusieurs dizaines à centaines d’années avant que la plantation ne devienne réellement neutre en carbone, difficile quand un palmier est rentable 30 ans25,27,28! Autant dire que c’est à prendre en considération lors de la fabrication d’un détergent29,30. Sans cette déforestation, l’huile de palme serait très avantageuse33. Une étude interne de Protcer & Gamble a montré que les émission de CO2 de tensioactifs à base d’huile de palme étaient supérieures à ceux issus du pétrole et eux-mêmes supérieurs à ceux issus de l’huile de coco12. Une conclusion qui n’est pas partagée par tous les auteurs qui trouvent un avantage similaire aux détergents dérivées de palme et de coco comparativement aux dérivés du pétrole31,32.Une question pas encore tranchée entièrement et qui nécessite de futures recherches et surtout la prise en compte de tous les paramètres liés aux émissions.
Un savon, du type savon de Marseille, émet-il plus de CO2 qu’un détergent synthétique, sachant qu’un savon est composé à 70 % d’huiles ? Une tonne de détergent synthétique émet environ 2500 kg de CO212, contre 2200 à 10 000 pour une tonne l’huile d’olive34, 2000 à 19 700 pour une tonne d’huile de palme30,35,36, environ 2100 pour l’huile de coco ou encore 900 pour l’huile d’arachide37. A condition d’avoir un savon dont l’huile ne provient pas de déforestation, on peut dire que oui, le savon peut être avantageux. A condition de ne pas en consommer plus en terme de quantité, tout en sachant que l’immense majorité du savon de Marseille est à base d’huile de palme. Pas facile de s’en sortir avec une réponse claire tellement chaque cas doit être particulier.
En bref, l’utilisation de produits renouvelables ne veut donc pas forcément dire moins polluant. La déforestation est dans ce cas un effet connexe majeur. Un bilan individuel de chaque produit serait peut-être une solution pour donner une véritable information, et donc un choix éclairé au consommateur
Conclusions
- Pour la lessive, les balles de lavages, les noix de lavage ou les mélanges de vinaigre et de bicarbonate ne sont pas efficaces
- Les agents lavant des lessives écologiques ne sont pas forcément plus biodégradables que des agents lavant d’origine pétrochimique
- Les agents lavant des lessives écologiques ne sont pas forcément plus écologique quand ils nécessitent la production de culture fortement polluante comme l’huile de palme quand elles causent la déforestation de forêts riches en carbone
- D’après nos expériences (vidéos), la lessive de lierre comme produit vaisselle est intéressante
- D’après nos expériences (vidéos) et la théorique scientifique, le mélange vinaigre/bicarbonate n’a pas d’action lavante
Annexes
Les autres composés des lessives :
- des agents qui maintiennent un pH basique pour ne pas affecter les fonctionnalités des agents tensioactifs (carbonates),
- des agents chélatants qui emprisonnent les ions calcium et magnésium de l’eau de lavage pour éviter qu’ils ne réagissent avec les tensioactifs (EDTA, citrates),
- des produits séquestrant empêchant la salissure de se redéposer,
- des enzymes qui vont littéralement manger les salissures,
- des agents de blanchiment qui oxydent les molécules colorantes (peroxyde d’hydrogène, percarbonate de sodium),
- et des azurants optiques qui font paraître le linge plus blanc.
Autres alternatives de produits d’entretien : le vinaigre
L’éthanol, qui est la matière première du vinaigre est obtenu par le sucre de la canne à sucre ou du maïs. La pollution causée par ces cultures est entre 0 et 93 fois plus de CO2 que les combustibles fossiles27. Sachant qu’il est ensuite dilué 10 fois dans de l’eau pour faire du vinaigre, il peut être beaucoup moins impactant à condition d’être issu de cultures durables. Mais il est aussi moins bon désinfectant7 .
Phosphoré par : Gontier Adrien, Jaeger Catherine
Mots clefs : Savon, Naturel, Ecologique, Détergent