Pourquoi le tournesol tourne ?
L’écrivain et biologiste Jean Rostand écrivait dans les Carnets d’un biologiste en 1959 : « Quand l’idéal se déplace, il faut bien qu’on s’oriente différemment. Le tournesol reste fidèle au soleil ». Le tournesol suit la course du soleil, c’est bien connu… mais en êtes-vous si sûr ?
Date de publication : 14/12/15
Le tournesol
Les amérindiens cultivaient le tournesol et moulaient ses graines en farine. La feuille et les tiges du « grand soleil » servaient de fibres pour les textiles, des baumes servaient de traitements cicatrisants1. Les Indiens Hopi extrayaient une teinture violette d’une variété de tournesol sauvage qui avait des enveloppes de graines violettes (akène) en les broyant dans l’eau2. Nous parlerons plus en détail des colorants du tournesol et des plantes à la fin de cet article.
Tournesol d’origine sauvage dans la région des Maramureș en Roumanie
Le tournesol fut importé des Amériques en Europe et en Russie où il y fut hybridé. Les fermiers protestants mennonnites, en immigrant aux Etats-Unis pour fuir les pogroms, le ramenèrent à leur tour sur le continent américain. C’est sous l’influence de Staline que des chercheurs soviétiques sélectionnèrent les plantes les plus productives en huile que nous utilisons encore en partie aujourd’hui. L’huile de tournesol est utilisée de nos jours pour la cuisson et les margarines, mais aussi pour les savons, les vernis ou les carburants. Le résidu de pressage des graines (tourteau) est utilisé comme alimentation pour le bétail1.
Le soleil et les plantes
Il est évident que le soleil a un rôle majeur pour les plantes. On connaît certaines fleurs qui se ferment la nuit, un phénomène appelé nyctinastie. La lumière, la température ou des rythmes internes font varier la concentration en calcium de certaines cellules. Cette variation de concentration entraine ce que l’on appelle une pression osmotique entre les cellules, provoquant la fermeture de la fleur. Le naturaliste suédois Carl von Linné a ainsi eu l’idée de faire une horloge qui joue sur l’ouverture et la fermeture des fleurs3.
La légende
Le mot tournesol est indéniablement issu des termes « tourner » et « soleil », en français comme en italien et en espagnol (girasole, girasol). Mais déjà vers l’an 1500 certains herboristes mettaient en doute la réalité de ce « suivi solaire », et finirent par considérer cette propriété comme largement exagérée. Ainsi on garda à l’esprit que ce nom est surtout dû à la forme ronde et à la couleur jaune de la fleur, qui ressemble à un soleil. Puis vinrent des études qui, à partir de photographies, ont démontré qu’il y a avait bien un mouvement4. Mais ce mouvement n’est pas exactement celui que vous imaginez…
Et pourtant il tourne5
On distingue deux formes de réponses des plantes face au soleil ou plus généralement face à la lumière. Le phototropisme et l’héliotropisme. Le phototropisme est la propriété d’une plante de modifier sa croissance en fonction de la direction de l’éclairage. Une exposition inégale à la lumière provoque au final des courbures. Vous trouverez en fin d’article une expérience simple à réaliser à ce propos. L’héliotropisme quant à lui est plus dynamique car tout ou une partie de la plante change constamment son orientation tout au long de la journée en fonction de la source de rayonnement lumineux.
Chose peut être évidente, mais des études ont montré que le tournesol suit bien le soleil. En effet, lorsqu’il est placé sous serre avec des projecteurs immobiles, point de torticolis pour le tournesol. Ce sont ses feuilles, ses bourgeons apicaux (à l’extrémité des tiges) et ses inflorescences (les fleurs) qui sont en développement diaheliotropique, c’est-à-dire qu’ils font face au soleil tout au long de la journée. Au final ils effectuent un mouvement Est-Ouest pendant le jour. La nuit, le tournesol a un mouvement indépendant de l’influence de la lumière. A ce moment-là, sa fleur tourne deux fois plus vite que le jour pour revenir s’orienter vers l’Est et le lever du soleil. La source de ce mouvement nocturne n’est pas encore très clairement identifiée, mais l’une des hypothèses les plus sérieuses serait que des « horloges » internes lui permettent de continuer à tourner sans aucun éclairage la nuit. Ces « horloges » internes permettent aussi aux inflorescences de bouger lorsque le temps est nuageux. Mais, expérience cruelle, on s’est rendu compte qu’une décapitation n’arrête par le mouvement de rotation en haut de la tige. La fleur ne suit pas vraiment le soleil donc.
Et c’est à partir de là que la légende prend fin. Il se trouve que seuls les jeunes plants ont ce comportement. En arrivant à maturité (l’anthèse), les fleurs de tournesol ralentissent leur course jusqu’à l’arrêter complètement. Vous avez certainement vu ces champs de tournesols, tête en bas.
Pourquoi le tourne tournesol ?5 (Cf, Franck Ribéry)
En fait ce n’est pas la fleur qui tourne, mais la tige qui pousse à des vitesses différentes si elle est exposée ou non au soleil. En poussant plus vite du côté ombragé, elle pousse la fleur de manière asymétrique. Ainsi, la fleur de tournesol tourne uniquement pendant la croissance de la tige.
Trois mécanismes ont été décrits pour expliquer pleinement la rotation des jeunes fleurs de tournesol :
- La perception d’une source de lumière. Le tournesol est sensible à la lumière bleue ! Mettez de la lumière rouge, le tournesol ne fera pas de headbang.
- Une croissance différentielle de certaines sections de tige se fait suivant la source lumineuse. Pour grandir, la plante produit des hormones comme l’auxine. La génération d’inhibiteurs (tueurs) d’auxine dans la partie illuminée de la plante serait une raison de sa pousse inégale. Les scientifiques ont ainsi pu prouver que les parties éclairées présentaient des concentrations d’un inhibiteur de l’hormone auxine (la 8-epixanthatine) plus importantes. Pas d’hormones, pas de croissance. Parallèlement, d’autres hormones de croissance, les gibbérellines, sont mesurées en quantité 8 fois plus importante du côté ombragé. Beaucoup d’hormones, beaucoup de croissance.
- Un mécanisme indépendant de l’influence de la lumière permet pendant la nuit la réorientation du sommet de la pousse pour être orienté vers l’Est pour le matin. Le mouvement de la nuit pour faire une rotation de 180° est probablement le fait d’un rythme circadien. C‘est-à-dire d’une horloge interne à la plante qui lui permet de continuer à « ordonner » le mouvement en l’absence de la source de lumière.
Mécanisme de rotation du tournesol
Quel est l’intérêt évolutionniste d’un tel comportement ? Il y a deux hypothèses principales : une augmentation de la réception de la lumière et / ou le maintien de la température des fleurs. La photosynthèse des plantes héliotropes est supérieure de 9,5% à la photosynthèse des plantes ne le sont pas. Mais cette orientation mouvante pourrait aussi permettent d’attirer plus facilement les insectes pollinisateurs, ou encore d’accélérer le développement des graines. Toutes ces hypothèses sont peut être complémentaires.
Le colorant du tournesol
Les indiens extrayaient des pigments des graines de tournesol1. Car si les fleurs sont colorées, les graines, et plus particulièrement leurs enveloppes sont très riches en pigments6. Les péricarpes contiennent plus particulièrement deux familles de pigments : des anthocyanes, et dans une moindre mesure des flavonoïdes (revue6).
Les anthocyanes sont très présentes dans le milieu naturel. Elles sont partout et vous en avez croisé sans le savoir. Un véritable complot. Elles donnent leurs couleurs bleu-rouge-pourpre aux myrtilles, raisins, mûres, oignons rouges, aubergines, oranges sanguines ou encore aux choux rouges. Un composé au nom poétique de péonidine-3-O-glucoside a été identifié dans une espèce de tournesol aux péricarpes violets7, mais est aussi présent dans le vin rouge, l’oignon rouge et le maïs rouge. D’autres molécules de cette famille sont plus spécifiques à un fruit, une plante ou un légume.
Tournesol à grignoter, un encas populaire notamment en Roumanie
Mais il y a un truc super cool avec ces anthocyanes, c’est que leur couleur dépend aussi de leur milieu. Notamment du pH, c’est-à-dire de l’acidité dans laquelle ils font trempette. Il existe ainsi une couleur/teinture ? appelée bleu de tournesol, bien qu’elle soit obtenue à partir d’autres plantes comme le croton des teinturiers ou maurelle. On utilise encore de nos jour la « teinture de tournesol », formée à partir de composés colorés extraits de lichens, pour mesurer l’acidité8.
Phosphoré par : Gontier Adrien, Jaeger Catherine
Mots clefs : tournesol, colorant, soleil