Les plastiques : environnement et santé
Plastiques dans les mers et le corps humain. Quels sont les impacts des plastiques pour notre environnement et les humains. Focus sur le bisphénol A et les plastiques dans les océans. Partie 2/2.
Date de publication : 04/06/17
Plastique et environnement : impact direct
Les principaux ravages des débris plastiques concernent le milieu marin. Bien que leur quantification dans les mers soit difficile à établir de manière exacte, quelques indices permettent d’en réaliser l’ampleur. Ainsi par exemple, la proportion de déchets plastiques dans les nids des mouettes danoises est passée 39 à 57% entre 1992 et 2005.
Les plastiques sont transportés depuis les terres par les fleuves, et on trouve une corrélation entre la taille des fleuves et estuaires et la quantité de débris sur les plages1. En effet, environ la moitié reste flottante et se retrouve alors en surface et en bord de mer. En 2010, entre 4,8 et 12,7 millions de tonnes de plastiques sont passés dans les océans2. Mais chaque année, les nouveaux déversements s’ajoutent à ceux des années précédentes car la faible température de l’eau et sa salinité réduisent leur dégradation sous l’action des rayons UV. On considère que 150 millions de tonnes de plastiques seraient présentes dans les océans de nos jours, représentant entre 40 et 80% des déchets en mer et en moyenne 7000 débris par hectare de mer. En 2050, cette masse pourrait encore augmenter jusqu’à devenir identique à celle des poissons3.
C’est l’Asie qui serait responsable de 80% du plastique marin. En effet, l’essentiel des déchets plastiques européens et états-uniens sont éliminés par recyclage, enfouissement ou incinération (ce qui n’est pas sans poser des problèmes de pollution également).
Le problème de la pollution aux plastiques inquiète depuis fort longtemps l’ONG Surfrider. Les débris de plastique peuvent provoquer l’étouffement, la déformation ou la strangulation des animaux, notamment quand ils sont présents sous forme de fils ou de gros déchets4. On les retrouve également dans les estomacs des poissons5, tortues et autres mammifères marins6 qui meurent alors de faim, leur estomac ne pouvant plus contenir de nourriture. Une étude sur 1033 oiseaux au large de la côte de la Caroline du Nord (Etats-Unis) a montré que la moitié avait du plastique dans leur système digestif7, tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas différencier la nourriture du plastique. Les tortues quand à elles confondraient les sacs plastiques avec les méduses qui sont leur nourriture habituelle8.
Aux débris de plastiques s’ajoutent des micro-plastiques (définition : taille inférieur à 5mm) issus de la dégradation des plastiques ou directement utilisés dans des produits cosmétiques comme des gels douches gommants9. Récemment, une étude française a montré que les micro-plastiques contaminant la merpeuvent diminuer la capacité reproductive des huîtres10.
Enfin, les plastiques contiennent des agents qui permettent de les rendre plus résistants, transparents ou souples par exemple. On parle de Bisphénol A, de phtalates, de DEHP, de PBDE etc. Or ces composés, même en très petites quantités, peuvent être toxiques pour le foie par exemple, ou encore induire des mécanismes d’inflamation11-12. Les animaux marins en haut de la chaîne alimentaire présentent alors un risque majeur de contamination13-14 (l’Homme y compris).
Quelques impacts du plastique dans les mers
Plastiques et environnement : impacts indirects
Mais le plastique présente également d’autres inconvénients, plus inattendus. Les plastiques ont la propriété d’absorber des POP (Polluants Organiques Persistants). Ces polluants organiques sont les polychlorobiphényles (PCB), les hydrocarbures polycycliques aromatiques (HAP) ou encore le pesticide DDT15. Scientifiquement on dit en fait « adsorbé » avec un D, car ces molécules polluantes se collent à la surface du plastique. Cela a comme effet de concentrer ces polluants dans l’eau, les plastiques se comportent alors comme des éponges à polluants. Les animaux qui ingèrent ces plastiques vont alors aussi concentrer les polluants dans leurs corps. Leurs prédateurs vont se contaminer eux-mêmes en les mangeant et augmenter les quantités de polluants encore à leur tour au sein de leurs corps. On appelle cela la bioaccumulation. Cela pose problème aux animaux eux-mêmes : des problèmes de reproduction, de cancers et de développements sont ainsi observés. Mais ceci est aussi problématique aussi pour les humains qui les consomment tout en haut de la chaîne alimentaire16-20. Des scientifiques demandent ainsi de classer les plastiques comme des déchets dangereux, et d’être traités comme tel21. Cependant, certains22 pensent que le plastique au contraire pourrait avoir un effet « nettoyant » en « dépolluant » les estomacs et systèmes digestifs des animaux ; mais ce point de vue est discuté23 surtout si les plastiques restent dans les organismes vivants.
Le Bisphénol A : plastiques et santé
Le bisphénol A (BPA) est un monomère (brique élémentaire) utilisé pour la fabrication des polycarbonates. Les polycarbonates sont des plastiques issus de la réaction en chaine de carbonates et de bisphénol A. Solides et transparents, les polycarbonates sont très appréciés. Les conserves, par exemple, sont couvertes de résines epoxy qui sont composées de BPA.
Une contamination généralisée
Des inquiétudes
L’effet du bisphénol A sur la santé a été étudié dans les années 1930 car il se comporte comme une hormone27. Plus précisément, il peut imiter l’hormone féminine 17-oestradiol31. Les hormones sont des molécules synthétisées et utilisées par notre corps pour véhiculer des informations en interne. Avec le bisphénol A, notre corps peut donc se méprendre et le confondre une hormone réellement synthétisée par ses propres cellules. Des molécules externes peuvent donc interférer avec le fonctionnement hormonal naturel du corps humain, et à ce titre on les appelle des perturbateurs endocriniens. Ces perturbations peuvent devenir sérieusement problématiques, notamment au cours de phases de vulnérabilité telles que le développement fœtal ou l’adolescence29,32-34. C’est donc principalement les enfants et les femmes enceintes qui ont un risque.
Ainsi soupçonne-t-on le BPA de jouer un rôle dans le cancer du sein35,36, la baisse de la spermatogénèse37, l’adolescence précoce38, l’infertilité39, l’obésité27,40,41. Une exposition périnatale entraînerait des intolérances alimentaires42 ou autres troubles divers comme l’asthme et l’allergie32,43, des accouchements prématurés44 ou des malformation31. Bref, le BPA a de grosses casseroles, et malgré son interdiction dans les biberons en France puis dans l’Union Européenne45, il n’en reste pas moins utilisé dans d’autres objets. Car son interdiction relève d’une décision politique. Au niveau scientifique, il y a encore une controverse, plus ou moins entretenue par l’industrie46 qui agit aussi bien au niveau des politiques que des scientifiques eux-mêmes. Cherchez des informations sur le BPA et vous tomberez sur les sites bisphenol-a-info.com, factsaboutbpa.org ou encore bisphenol-a.org, montés par un consortium d’industriels du plastique. Il existe ainsi deux grandes discussions entretenus par l’industrie notamment pour retarder une interdiction du BPA : l’exposition au BPA et les études contradictoires diverses.
Les études contradictoires
Il est évident que les industriels du plastique peuvent profiter ou alimenter une certaine confusion au sujet des données scientifiques47. A tort, ou à raison. En effet, toutes les études ne concluent pas à la responsabilité du BPA dans tous les maux qu’on lui reproche, et on peut alors les mettre en avant. Certaines études n’ont pas du tout vu de corrélation entre une exposition prénatale au BPA et l’obésité 48 ou la baisse de fertilité associée au BPA49. Il ne faut pas les ignorer. Cependant, la démarche scientifique exige que toutes les données soient prisent en compte. De manière très caustique, des auteurs ont remarqué que les résultats des études varient suivant la source du financement50. De manière étonnante, à daté de 2005, 100% des études financées par l’industrie ne trouvaient pas de liens entre le BPA et divers problèmes de santé (11 études), alors que les études au financement public sont 92% à lier le BPA avec des problèmes de santé (119 études). Même si les organismes de régulation (EFSA en Europe, FDA aux Etats-Unis) épluchent toutes les données pour rendre leurs avis, les auteurs qui ont souligné un biais de financement des études mettent en garde sur une certaine pollution éditoriale. Pollution qui peut trouver sa source dans le design des études : en tant que perturbateur endocrinien, le BPA peut avoir un comportement inhabituel et exercer des effets à très faible dose et de manière variable suivant le moment où l’organisme est soumis à la pollution. Etudier l’effet hormonal d’une molécule ne donnera pas les mêmes résultats sur une personne âgée ou un fœtus. Bref, si on ne veut rien trouver, on peut faire en sorte de mener une expérience tout à fait correcte, mais où l’on loupera volontairement l’essentiel. Ceci étant dit, ça marche aussi dans le sens inverse… Ensuite, certaines études incluent, en plus des groupes contrôle, des groupes dans lesquels on donne un toxique connu (contrôle positif). Parfois, certaines de ces études ne montrent pas d’effets avec le toxique connu : signe d’un problème général dont l’étude a été menée… Un doute est jeté, à raison, sur certains résultats et études qui seraient passées à côté de l’essentiel. Mais cette bataille d’expert est impossible à suivre pour le commun des mortels.
Cependant, l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) passe au crible toutes les études scientifiques (800) et les décortiquent pour fournir un avis (plus de 600 pages)29,43. L’EFSA a réévalué récemment la dose sans danger (dose journalière tolérable : DJT) de 50 à 4 microgrammes par kilogramme de poids corporel par jour (µg/kg de pc/jour). D’après l’EFSA : « les estimations les plus élevées de l’exposition alimentaire ou de l’exposition provenant d’une combinaison de sources diverses sont de trois à cinq fois inférieures à cette nouvelle DJT »39. Pour l’EFSA, l’exposition à laquelle nous sommes confrontés est sans danger.
L’exposition
Le nerf de la guerre est certainement celui de l’exposition. En effet, un élément peut être excessivement dangereux (comme un lion), mais sans y être exposé (s’il est enfermé dans sa cage) on ne risque pas d’être mordu. Risque = Danger x Exposition. Avec le BPA, le risque ne survient que si l’on subit une exposition suffisante pour encourir une maladie. Le danger supplémentaire pour le BPA est une exposition à un moment clef où le danger est plus grand (fœtus, adolescence).
Pour connaître un peu mieux le réel danger du BPA, on peut l’étudier dans son milieu. C’est-à-dire à des doses réelles (quantité ingérée par jour) et en association avec d’autres facteurs de risques (autres contaminants). Concrètement en suivant des personnes « normales ». Mais comme nous l’avons vu, la quasi-totalité de la population est exposée au BPA. Concrètement on pourrait établir une relation entre le brossage des dents et l’incidence de la maladie d’Alzheimer, mais tout le monde se brosse les dents ! Etablir directement le lien entre un problème de santé et une exposition comme le BPA est donc délicat. La démarche consiste à regarder si une haute concentration de BPA mesurée dans le sang ou les urines par exemple est corrélée à une forte incidence de la maladie étudiée. Ensuite, il faut aussi pouvoir proposer un substrat à un lien de cause à effet (il est peu probable que le brossage de dent soit une cause de la maladie d’Alzheimer, par contre il est plausible que le BPA, étant un perturbateur endocrinien, cause une adolescence précoce). Mais encore faut-il être certain de tester le toxique aux bonnes doses et durant période de vie pertinente. Comme nous l’avons vu, les études peuvent être contradictoires. Souvent cela peut être la cause de doses ou de périodes de vie étudiés non pertinentes, et parfois à cause d’ajustements de la populations étudiée. Les ajustements sont indispensables pour éviter les erreurs d’analyses : on ajuste les populations avec des paramètres comme l’âge, la classe sociale ou l’ethnie. Parfois ces ajustement sont mal faits et on efface certaines observations, ne voit alors rien : c’est un faux négatif. Soit les ajustements sont insuffisants, on remarque quelque chose qui est en fait causé par un autre facteur : c’est un faux positif. Pour se faire une idée la plus objective possible à propos d’un toxique, il faut donc faire comme l’EFSA notamment : regarder l’ensemble des études.
- L’étude in vitro (sur des cellules) ne donne pas accès aux effets complexes qui peuvent se produire dans un corps (interaction entre molécules) et ne reproduit pas l’exposition réelle, par contre elle permet de découvrir les cibles et les mécanismes d’action d’une molécule et permet ainsi de prouver des liens de cause à effet. Ce genre d’études permettent par exemple de réfuter le lien absurde que nous avons fait entre le brossage de dent et la maladie Alzheimer par exemple
- L’étude in vivo sur un modèle animal (le rat souvent) ne peut pas être directement transposée à l’Homme. Néanmoins le modèle animal est nécessaire parce qu’il permet d’étudier l’action d’une molécule sur un organisme entier (et sur chacun des organes en particulier) en contrôlant très bien les paramètres de l’étude (environnement standardisé) et dans un délai relativement court. Le choix de la lignée de rat est extrêmement importante, certaines pouvant être résistantes ou au contraire particulièrement sensibles à certain maux.
- L’étude in silico permet de faire des prévisions mais ne se base que sur des données déjà connues.
- L’étude de population permet d’évaluer les effets d’un produit en situation réelle, mais elle doit éviter de nombreux biais dus à la vie et aux expositions complexes des humains, ce qui ne permet que rarement de démontrer une relation de cause à effet (en général ce ne sont que des associations qui sont montrées, ce qui reste insuffisant pour évaluer les risques).
Chacune de ces études prises individuellement sont insuffisantes, il faut toutes les prendre en compte pour bien comprendre les effets d’un toxique
Il n’est pas impossible que des considérations politiques empêchent les agences dévaluation de préconiser des interdictions, ou des restrictions d’usage plus importantes pour éviter aux femmes enceintes d’être exposées par exemple. C’est le casse-tête du principe de précaution. La législation peut encore changer dans les années à venir (l’EFSA a divisé par plus de 10 la dose journalière acceptable lors de sa dernière réévaluation). Malheureusement, les remplaçants possibles du BPA, les bisphénols S et F, possèdent les mêmes propriétés à perturber le système hormonal que le BPA51. Des études sont en cours, c’est donc un feuilleton passionnant qui s’annonce, aussi bien sur le BPA que sur ses candidats remplaçants.
Un danger soumit à une exposition amène au risque : pas de d’exposition, pas de risque.
Conclusions
- Les plastiques sont des polluants majeurs dans les mers
- Les plastiques sont de plus en plus nombreux dans les mers
- Les plastiques sont une cause direct de mort d’annimaux marins
- Les plastiques accumulent les polluants organiques dans les mers
- Le BPA est un perturbateur endocrinien, au même titre que ses remplaçants potentiels : les bisphénols S et F
- L’exposition au BPA dans la vie quotidienne est inférieure aux seuils qui seraient problématiques pour les humains
- L’exposition à des cocktails de plastifiants (BPA, DEHP, phtalates) et leurs propriétés toxicologiques spécifiques devraient certainement faire l’objet d’un article complet !
Un film à voir : www.plasticoceans.org/film/
Phosphoré par : Gontier Adrien, Jaeger Catherine
Mots clefs : plastique, BPA, santé, environnement, océans