La Lune et le sommeil
La pleine lune est au cœur de nombreuses croyances populaires depuis des siècles. Responsable d’un mauvais sommeil, exacerbant la criminalité ou provoquant les accouchements. Alors, la pleine Lune a-t-elle réellement une influence sur les Humains ?
Date de publication : 12/05/15
Qu’est-ce la pleine lune ?
Commençons par le début. La Terre tourne autour du soleil en 366,24 jours et sur elle-même en 23 heures et 56 min. La Lune tourne autour de la Terre en 29,5 jours (période synodique) et sur elle-même en 27,32 jours.
Rotation de la Lune et de la Terre
Quand le côté de la Terre n’est plus éclairé par le Soleil, il fait donc nuit de ce côté. Pour la Lune c’est pareil. Un coté de la Lune n’est pas éclairé par le Soleil et il y fait nuit, et sur Terre nous ne pouvons donc pas voir ce côté. Suivant la position de la Lune par rapport à nous, nous la voyons plus ou moins éclairé. C’est quand la Lune est « en face » du Soleil que nous la voyons éclairée en entier : c’est la pleine lune.
Phases lunaires
Loup-garou y es-tu ?
La pleine lune est au cœur de nombreuses croyances populaires depuis des siècles. On attribue à la pleine lune la possibilité d’exercer une influence sur les plantes et les animaux. Les animaux comme l’Homme. Ainsi la Pleine Lune aurait, entre autre, le pouvoir de modifier le comportement humain, de provoquer des accouchements avant terme, d’augmenter la fréquence des crises d’épilepsie ou encore favoriser les insomnies1,2. Et si les Hommes peuvent être influencés, alors pourquoi pas les cours de la bourse3?
Si l’influence de la Lune sur les marrées est très bien expliquée scientifiquement, c’est plus compliqué lorsqu’on s’intéresse aux croyances populaires à propos des êtres vivants. En effet, si le mécanisme des marées qui est basé sur les forces d’attraction liées à la gravité est très bien compris4, la question de l’influence de la Lune sur l’Homme fait par contre des étincelles ! Car scientifiquement il y a quelques inconnues. Et ce n’est rien de le dire !
Les études sur l’effet de la pleine Lune
La communauté scientifique a déjà par le passé tenté d’apporter quelques explications quant à l’influence de la pleine Lune. Ainsi en 1843 on discutait déjà en terme scientifique de l’influence de la pleine Lune sur les épidémies de choléra ou les accès de folie5. Parmi ces croyances, il y a par exemple celle concernant le fait que les chiens mordent plus les soirs de pleine Lune. Certaines études montrent qu’il y a un véritable pic de morsures de chiens les soirs de pleine lune6, d’autres à l’inverse qu’il n’y a rien à déclarer7. Mais nous allons nous intéresser aux effets de la pleine Lune sur les humains.
Les professionnels de santé et les scientifiques étant des citoyens comme les autres, eux aussi peuvent se questionner sur cette influence lunaire. Une étude menée à la Nouvelle-Orléans auprès des professionnels de santé a ainsi montré que près de 40 % d’entre eux pensent que la pleine Lune a un effet sur le comportement des patients (sur un total de 325 personnes interrogées)8. Pourtant, des études ont montré que les admissions dans les hôpitaux et urgences psychiatriques ne dépendent pas de la pleine Lune9-13, pas plus que les crises d’épilepsie14, ni les suicides15, ni même les saignement de nez16. Malgré tout, cela n’empêche pas les auteurs de l’une de ces études de conclure qu’une formation continue du personnel quant aux effets de la lune sur le comportement humain est nécessaire. En d’autres termes, ils pensent quand-même qu’il y a quelque chose qui se passe ces soirs-là : de l’énervement et des agressions doivent être plus fréquents. La croyance persiste même face aux faits. Croyez-le ou non, aucune relation n’a été établie entre la pleine Lune et les violences diverses17-21.
Même un côté positif est difficile à trouver, les succès des opérations chirurgicales sont équivalents quelle que soit la position de l’astre22 et malheureusement les réanimations cardiopulmonaires ne sont pas plus nombreuses23. Pas de miracle. Et question miracle on ne compte pas plus de naissance lors des soirs de pleine Lune24-29.
Il existe de très rares études qui affirment avoir trouvé un effet quelconque en invoquant le magnétisme terrestre, la fluctuation de la lumière lunaire ou de l’attraction gravitationnelle27,30. Mais ces études sont très peu concluantes et pas du tout convaincantes. Ces dernières pouvant même s’attirer les moquerie d’une certaine partie de la communauté scientifique7. En épluchant en long en large et en travers la littérature scientifique, il en ressort que rien de convainquant n’a pu être établi concernant l’influence de la Lune sur les humains jusqu’à présent1,31. Quel que soit le facteur étudié. Nada. Keutchi. Et ce n’est pas faute d’avoir cherché.
Echec de la science ou de notre inconscient ?
Alors pourquoi cette impression que votre conjoint(e) est spécialement casse bonbon les soirs de pleine lune ? Parce que nous relevons les évènements qui se produisent ces soirs-là. Comme c’est un soir qu’on pense particulier, on prête plus attention à ce qui peut s’y produire. Alors que ces événements se produisent tout autant les autres jours. En d’autre terme, si votre moitié(e) est agaçant(e) un soir, vous le relèverez et le retiendrez plus facilement si c’est un soir de pleine lune. Ensuite on va sélectionner de manières inconscientes ces faits ces soirs-là, et un peu occulter les faits des autres soirs. Nous nous rappelons plus facilement des évènements que des non-évènements : une corrélation illusoire32. En réalité, on sait tous qu’elle (il) est tout le temps un peu casse bonbon. Si seulement ce n’était que les soirs de pleine lune !
Allumez le feu au lac
Mais un jour, ou une nuit, à vous de voir, est arrivée la technologie suisse. C’est l’histoire de scientifiques qui étudiaient le sommeil humain : qualité et durée du sommeil, délai d’endormissement, mouvements des yeux, électroencéphalogramme, sécrétion de la mélatonine (hormone en relation avec le sommeil). Ils ont constaté, un peu par hasard, que ces paramètres variaient avec la phase lunaire33 … Le sommeil profond diminue de 30%, le délai d’endormissement augmente de 5 min et la durée totale du sommeil est réduite de 20 minutes autour de la pleine lune. Ces changements sont associés à une diminution de la qualité subjective du sommeil et du niveau de mélatonine chez les sujets. À aucun moment, pendant et après l’étude, les volontaires ou les scientifiques n’étaient conscients de l’état de la phase lunaire. Cette étude est d’autant plus troublante qu’elle aboutit à des résultats extrêmement proches de ceux publiés quelques années auparavant dans une autre étude2.
Quelques résultats de l’expérience. Les courbes représentent l’évolution de certaines variables (sommeil mesuré, sommeil ressenti etc.) suivant les phases lunaires33
Depuis, d’autres équipes ont tenté d’analyser a posteriori leurs résultats mais n’ont pas abouti aux mêmes conclusions34, suggérant ainsi que les résultats de l’équipe suisse seraient une anomalie statistique. Le « file drawer problem », qui consiste à ne montrer que les « bons » résultats. Retenir donc les fois « où ça marche » et occulter les autres. Mais les auteurs suisses s’en défendent et affirment la justesse et la maitrise de leur sujet35. Ils précisent que la luminosité a été très précisément contrôlée et que leur étude est plus contrôlée que celle de leur contradicteurs36. Finalement, la dernière étude en date sur cette question conclut à nouveau à une influence de la pleine lune sur le sommeil humain37.
Alors quelles explications physiques?
Désormais se pose la question du comment nous serions affectés par la Lune. Serions-nous influés comme les océans ? La force de gravité est l’attraction entre deux objets. Elle dépend de la masse de ces deux objets et de la distance qui les sépare. Plus la masse des objets est grande, plus la force d’attraction est importante. A l’inverse, plus la distance qui les sépare est importante, moins la force est importante. Ainsi, la Terre nous attire car sa masse est grande et que nous sommes plutôt proche de la Terre. La Lune attire les océans (et y crée les marées) car leurs masses sont énormes et la distance les séparant est relativement courte. Autant dire qu’un humain de quelques kilos ne pèse pas bien lourd comparativement à un océan et l’attraction de la Lune est plus que négligeable sur lui. Le fait que « les fluides corporels de l’Homme soient influencés par la Lune » n’est donc même pas de l’ordre de la théorie. A titre de comparaison, si vous pesez 60 kg sur Terre on peut imaginer que vous « êtes attiré » par le Lune à hauteur de 0,2mg ! La force du poids d’un moustique est équivalente à l’attraction de la Lune sur notre corps entier.
Force de gravité sur un homme
L’influence de la lumière sur le sommeil peut aussi être mise en avant. Un soir de pleine Lune, une luminosité plus importante pourrait perturber le sommeil. Mais la luminosité lunaire n’est pas entrée en compte dans l’étude suisse car les patients ont été complétement isolés de l’extérieur.
Corrélation et causalité (Cum hoc ergo propter hoc)
S’il existe une corrélation entre deux faits, cela ne veut pas dire qu’il y a un lien de cause à effet. Si les ventes de glace augmentent en même temps que le nombre de noyades, on ne peut pas dire que les glaces causent les noyades. Par contre on peut dire que c’est la chaleur de l’été qui favorise, entre autre, la vente de glaces et les baignades. L’augmentation des baignades augmente le nombre de noyade. Mais il n’y a pas de lien entre glaces et noyades. C’est un des principes de base de la science : corrélation ne veut pas dire causalité. Avec la pleine Lune on a affaire à cette problématique. Mais il est possible qu’il existe une cause qui n’est pas encore connue, autre que la gravité ou la lumière… Et ça il faut y penser. C’est un autre principe de base de la science.
La Lune est en toi jeune Padawan
Reste l’hypothèse d’une horloge circalunaire chez l’Homme. C’est-à-dire une horloge biologique interne. Ces horloges ne font pas tic-tac mais sont des mécanismes chimiques internes. Le même genre d’horloge qui fait que l’on se réveille à 6h30 même le samedi et le dimanche lorsqu’on voudrait bien faire la grasse mat’. Cette horloge-là est bien connue, elle a le doux nom de « circadienne » et elle gère les rythmes journaliers des plantes et des animaux (y compris l’Homme) : sommeil, vigilance, hormones, … Elle fonctionne de manière autonome grâce à un ballet d’expression de gènes qui se répète à l’identique dans nos cellules jour après jour. Mais elle se réajuste quotidiennement sur le rythme jour/nuit grâce à la lumière du soleil pour rester en phase avec l’environnement extérieur.38
Alors l’idée d’une horloge circalunaire est-elle farfelue ? Pas tant que ça. Certaines espèces marines ont des rythmes liés à la phase de la Lune (comme le fait de libérer leur semence partout dans l’eau, je sais c’est dégueu et ça s’appelle le frai. Personnellement je fais rarement ce genre de truc dans mon bain). Bref. Ces rythmes ne sont pas une simple réponse aux variations de l’environnement mais ils sont contrôlés par une horloge endogène (interne) synchronisée par la lumière de la lune39.
Evidemment ça ne prouve pas l’existence d’une telle horloge chez l’Homme… Mais cette possibilité reste envisageable. Pour le comprendre, faisons un petit crochet par un autre type de rythmes : les rythmes saisonniers. Il est connu que de nombreuses espèces, dites saisonnières, ont des rythmes annuels (reproduction, pelage, hibernation, migration…). Ces rythmes reposent sur une horloge circannuelle dont les acteurs moléculaires se confondent avec ceux de l’horloge circadienne. Les humains ne sont pas (plus !) une espèce saisonnière, et pourtant certains rythmes annuels sont connus et admis (pic de naissances au cœur de l’hiver dans nos contrées par exemple. Je suis de Décembre, et dire que je me croyais unique). Comme autant de restes d’une vie ancestrale fortement sous influence des paramètres environnementaux (température, ressources alimentaires, …)1. Alors pourquoi pas une éventuelle horloge circalunaire ? D’autant que quelques études récentes tendent à montrer que l’horloge circalunaire des espèces marines repose sur les mêmes acteurs moléculaires que l’horloge circadienne (acteurs que nous possédons sans conteste)…40-42
L’avenir scientifique le dira un jour. Ou une nuit.
Merci à Virginie Gabel, docteur en neuroscience, pour sa relecture.
Phosphoré par : Gontier Adrien, Jaeger Catherine
Mots clefs : lune, sommeil