Cliché sur la population française
Quelles sont les réalités sur les immigrés, les étrangers et les flux d’immigration en France ?
Date de publication : 05/05/15
Sophismes à la pelle
Le 17 mars 20151, à la matinale de France Inter, Jean-Marie Le Pen (JMLP, président d’honneur du parti Front National) a tenu ces propos en présence du journaliste Patrick Cohen (PC) qui lui donnait la réplique:
- JMLP : « Nous recueillons depuis 40 ans pratiquement, des millions et des millions d’étrangers et leurs enfants.
- PC : Des millions et des millions sans doute pas Jean -marie Le Pen.
- [échange hors-sujet]
- JMLP : L’INSEE, notre organisme officiel, dit que selon elle, il est rentré en France 12 millions d’étrangers depuis 40 ans
- (…)
- JMLP : (…) y a un véritable tabou, on ne connaît pas les chiffres, on ne veut pas les connaitre, on ne veut pas que le peuple les connaisse.
- PC : Les chiffres sont connus, vous pouvez les contester mais des chiffres sont connus.
- JMLP : Non
- PC : 200 000 environ entrées chaque année en France pour 100 000 départs (…)
- JMLP : Ça fait 8 millions en 40 ans sans parler des enfants qu’ils ont faits. [n’est-ce pas].
- (….)
- JMLP : Il y a une chose très simple. Nous étions 40 millions en 1945, nous sommes 66 millions. Et nous avons toujours été au-dessous, à part quelques années, sous le taux de reproduction des générations. Par conséquent les 26 millions sont probablement d’origine immigrée (….) »
Voilà les dires que nous allons étudier :
- Pour M. Le Pen, 12 (ou 8) millions d’étrangers se sont ajoutés aux français depuis 40 ans.
- D’après Patrick Cohen, il y a 200 000 entrées pour 100 000 sorties.
- M Le Pen dit que près de 23 millions d’habitants en France sont étrangers ou issus d’immigrés car, le taux de natalité étant faible en France, l’augmentation de notre population ne peut être due qu’à une arrivée de migrants.
Immigré & étranger
Dans un premier temps il est important de définir les termes tels qu’ils le sont par les instances. Et en voici la retranscription selon l’INSEE2,3.
- Un étranger est une personne résidant en France qui n’a pas la nationalité française.
- Un immigré habite en France, mais il est né à l’étranger avec une autre nationalité que française (comme un italien né à Venise, de nationalité italienne qui est venu vivre en France)
- Un immigré n’est pas forcément un étranger, car il peut devenir français (naturalisation).
- Un étranger n’est pas forcément un immigré car il peut être né avec une autre nationalité en France.
- La qualification d’immigré est permanente : si un immigré est naturalisé il est toujours compté comme immigré par les statisticiens nationaux.
L’immigration en France
La France est caractérisée depuis longtemps par des flux d’immigration, qui sont néanmoins relativement faibles de nos jours comparativement à d’autres pays4. Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, les migrants sont belges, italiens du nord, suisses et allemands. Ces immigrés sont une main d’œuvre pour l’industrie qui se développe ou encore pour l’agriculture. A la fin du XIXème siècle, dans la période que l’on appelle la « Longue Dépression », les flux migratoires baissent. Après la première guerre mondiale et son hécatombe humaine, le besoin de bras se fait pressant. Les italiens et les polonais qui seront les principaux immigrés, puis les espagnols. Après la seconde guerre mondiale, l’immigration nécessaire à la reconstruction du pays est originaire des colonies (Maghreb) et de l‘Europe du sud où l’économie est en grave dépression (Espagne, Portugal, Italie).
Ce graphique indique les pourcentages d’immigrés sur le territoire français à un moment donné ; il reflète donc le bilan des flux d’immigrés. Un immigré naturalisé, reste toujours compté comme un immigré. La baisse de proportion de certains immigrés indique soit leur décès, soit leur retour au pays d’origine.
En 1931, les d’immigrés représentaient 6,6% de la population en France, contre 8% en 2008. Ainsi, on compte en France moins de 7 millions de personnes qui sont descendants d’immigrés (un ou deux parents immigrés)4.
Populations françaises et origines2,5
Alors faut-il également comptabiliser les gens qui ont un grand-parent immigré ? Histoire d’aller chercher les français encore plus français ? Personnellement, cela me rappelle un papier que mon arrière-grand-père avait dû fournir à l’occupant allemand lors de la dernière guerre mondiale (voir à la fin du billet) ; c’est assez malsain.
L’immigration en France, sujet de controverses depuis toujours
Revenons à la fin du XIXème siècle. Du 16 au 17 août 1893, Aigues-Mortes fut le théâtre du dernier pogrom français6-8. En aout 1893, les salins de la ville emploient environ 510 saisonniers français et 410 italiens. Le travail est extrêmement difficile et des tensions existent déjà entre les deux populations, causées notamment par le contexte international. Le drame commence avec un ouvrier italien, Giordano, qui lave son pantalon dans de l’eau potable. Joseph, un ouvrier français, l’accuse de gaspillage et veut le corriger avec un bâton. En retour, Giordano le blesse légèrement au ventre avec un couteau. Puis, Giordano court au plus vite rejoindre ses compatriotes, alors au nombre de 150, tandis que Joseph rameute 50 français. Ces derniers, en sous-nombre et après quelques jets de pierres, s’en vont. Mais ils font alors courir cette rumeur : les italiens tuent. Les ouvriers français vont alors littéralement massacrer et lyncher les italiens d’Aigues-Mortes. C’est la chasse à l’ours. Ce sont les gendarmes qui viendront finalement à bout du carnage. Officiellement dans le camp italien, 8 morts, des dizaines de blessés graves et plusieurs personnes qui ne seront jamais retrouvées. D’après la presse italienne, jusqu’à 150 auraient péri. Le procès aboutira à une relaxe générale. Et malgré les coupures de presses de l’époque, aucun français n’a été tué. Un an plus tôt, ce sont les ouvriers belges des mines de charbon verront leurs maisons saccagées et certains d’entre eux rentreront en Belgique. En 1934, ce seront les mineurs polonais qui feront les frais d’expulsions : face à la crise il fallait expulser ceux qui mangeaient le pain des français9. Cet intermède pour mettre en perspective la situation actuelle.
Attaquons-nous maintenant au problème posé. Comment peut-on arriver à avoir une augmentation de la population sans renouvellement des générations ? Ces chiffres sont-ils trafiqués par les agences à la botte des gouvernements ?
Addition et soustraction, acte 1
Patrick Cohen a raison. Le très gros hic est que M Le Pen ne prend pas en compte la notion de flux. C’est comme pour votre compte en banque. Si vous avez la chance d’avoir un salaire tous les mois vous connaissez aussi le malheur des dépenses. Le montant disponible sur votre compte est un peu plus petit à la fin de du mois qu’au début, votre compte subit des flux : entrées et sorties.
Depuis 1994, il y a environ 200 000 personnes par an qui entrent en France. Mais chaque année, 100 000 font le chemin inverse10. Au final, 100 000 de ces entrants sont restés le sol français. Comme dans des comptes bancaires, on appelle ça un solde. Or, le solde migratoire de la France est près de dix fois inférieur à celui d’autres pays comme l’Allemagne ou la Norvège10,11.
En 2012, 191 542 titres de séjour (autorisation de rester sur le territoire pour une durée déterminée) ont été délivrés. Parmi eux, il y eu 86 572 titres délivrés pour des raisons familiales, titres qui sont conditionnés aux ressources de la famille accueillante comme l’obligation de prouver un salaire mensuel minimum de 1138,17 € sur 12 mois pour une famille de 2 ou 3 personnes12. Ensuite 58 000 titres ont été délivrés à des étudiants, 18 005 à titre humanitaire et 16 379 pour des raisons économiques10. Notons que ces immigrés sont de plus en plus diplômés et de plus en plus européens. En 2012, la moitié de l’immigration est européenne13.
Ainsi sur 40 ans, on ne peut pas dire qu’il y a eu 200 000 * 40 = 8 millions d’étrangers qui sont restés en France. Mais 4, au maximum, si on prend le flux moyen. En réalité, depuis 1975, le solde est de 2,3 millions de personnes14.
Addition et soustraction, acte 2
Pour qu’une population reste stable, chaque couple doit faire 2 enfants. Deux parents qui meurent, deux enfants qui continuent à vivre. Ainsi, chaque femme doit faire au moins deux enfants pour que la population du pays se maintienne. En-dessous, la population diminue. A terme.
Taux de fécondité des femmes françaises de 1945 à 2011. A partir de deux enfants, on assure le renouvellement de la population15.
Il est vrai qu’en France le taux de natalité a été en-dessous de deux pendant près de 30 ans (années 1970 à 2000). Depuis, la France frôle de nouveau la limite du taux de renouvellement des générations. Elle fait la course en tête en Europe, où l’Allemagne par exemple fait pâle figure. Alors si notre taux de natalité est limité, comment faisons-nous pour avoir une population en augmentation ?
Dans un pays les gens naissent et meurent. Mais pas au même moment ! Les chiffres des naissances et des décès sont très bien connus et très peu contestables (ils sont strictement documentés dans notre pays). Depuis 1946 les chiffres sont très clairs : il y a chaque année environ deux fois plus de naissances que de décès. En 2013 par exemple il y eu 811 000 naissances, pour 569 000 décès ! Ainsi, si le taux de natalité n’est pas supérieur à 2, il y a quand même une augmentation du nombre d’habitants. C’est dû à l’augmentation de l’espérance de vie : les gens vivent plus longtemps (meurent plus vieux), ce qui entraine un vieillissement de la population. Et le vieillissement de la population est effectivement une donnée très connue.
Si l’on additionne les soldes migratoires de chaque année depuis 1946, on obtient une immigration maximale de 6 millions de personnes. Ce chiffre prend en compte l’année 1962, qui correspond à la fin de la guerre d’Algérie et a un solde migratoire exceptionnel16.
Acte 3 : dénouement
La population française évolue depuis presque toujours. Mais la proportion de cette évolution et les flux de migration sont relativement constants. Il n’y a pas d’explosion de l’immigration. Cette dernière est même en baisse. L’Histoire nous montre que de tout temps des tensions ont existé. Ces tensions sont basées sur la peur, sur le rejet de l’évolution de notre environnement, mais aussi malheureusement sur la méconnaissance. Elle devient plus grave quand elle est entretenue par de la manipulation politicienne. M Le Pen a, soit pas manque l’intelligence, soit par manœuvre politique, fait un raisonnement très simpliste. Pourtant à son époque, on faisait du calcul mental, additions et soustractions ! Force est de constater qu’il devait être dissipé…
Matériel bonus
Retranscription et traduction partielle d’un document familial demandé par l’occupant nazi à un ancêtre. Ceci afin de vérifier l’absence de judéité dans la famille. Ainsi la religion de chaque membre est précisée : Katholisch.
- Vater (père) : Ludwig Linder gerborn (né en) am 2.3.1888 in Scherwiller (under elsass (Bas-Rin)) Katholisch (Catholique). Beruf (métier) : Miner arbeiter (mineur)
- Mutter (mère) : Anna Linder geberon Ettighoffer am 25.12.1885 in Dambach (under Elsass) Katholisch verheitetet (mariée) am 10.11.1911 in Dambach
- Grossvater (grand-père): Franz Xavier Linder geborn am 13-10-1838 in Scherwiller (under Elsass) Katholisch. Beruf Handwercker (ouvrier) gestorben Marz 1903 in Paris (mort à Paris)
- Grossmutter (grand-mère) :Rosalie Linder geborn Koch am 25.12.1851 in Sherwiller Katholisch. Gestorben (mort en )am 20.1.1927 Scherwiller
- Grosswater : Selest Ettighoffer gerbonr jahrgang (au courant) 1838 in Dambach Katholisch (under elsass). Beruf (gemeinde arbteiter : travailleur municipal) in Dembach. Gestorben (mort) am 6.11.1903
- Grossmutter : Richardis Ettighoffer geborn Kientz am jahrgang 1842 in Nothalten. Katholisch. Gestorben am 16 juin 1914. In Pfirt (Ferrette)
Eltren den Frau (parent de ma femme)
- Vater : Franz Xavier Edelman gerborn am 18 juli 1884 in Thann, Katolish, beruf (? : cocher en réalité)
- Mutter : Augustine Edelmann gerborn Kierchmeyer am 19.12.1885 in Thann, Katholisch. zerheitet (marié) am Pfinsten (Pentecôte) 1907 in Thann
- Grossvater unehelig : illégitime
- Grossmutter : Therese Edelmann geborn 7.5.1860 in Thann, Katolish. Gestorben am 30.12.1936 in Rastatt (Baden, Allemagne)
- Grosssvater : Eugene Kirshmeyer geborn am 9.12.1842 in Steinbach (ober Elsass) Katholisch. Beruf : Möbelschreiner (menuisier) gestorben in April 1910 in Thann
- Grossmuter : Luise Kirshmeyer geborn Frikert dem 12 märz 1842 in Gewenheim (ober Elsass). Katolish. gestorben am Ostren (Mort à Pâques) 1919 in Thann.
Phosphoré par : Gontier Adrien, Jaeger Catherine
Mots clefs : immigration, FN, étranger, france